Quel destin pour l’azuré des Mouillères au Pinail ?


L’Azuré des Mouillères est un papillon de jour que l’on rencontre notamment dans les landes et prairies humides du Pinail, dernier lieu du Poitou-Charentes où il subsiste. D’apparence plutôt banale avec sa taille moyenne et sa couleur bleue typique des azurés, son cycle de vie est quant à lui extraordinaire. Cette espèce est protégée en France et sur la réserve naturelle, il fait l’objet de toutes les attentions avec le Plan National d’Actions en faveur des papillons de jour décliné en région Nouvelle-Aquitaine.

Le triptyque azuré, gentiane et fourmi

L’azuré des mouillères (Maculinea alcon alcon) fait partie du genre Maculinea qui regroupe des espèces de papillons de jour [les Lépidoptères Rhopalocères pour le nom scientifique, en opposition aux Lépidoptères Hétérocères qui vivent la nuit] dont la biologie particulière associe une plante et une fourmi hôtes. La gentiane pneumonathe (Gentiana pneumonanthe) est l’unique plante dite hôte de cette espèce où la femelle pond ses œufs et dont la chenille se nourrit après éclosion en août-septembre. Le développement de la chenille se poursuit pendant 1 à 2 ans au cœur d’une fourmilière où elle est élevée par l’une des 3 ou 4 espèces du genre Myrmica capable de reconnaître le papillon ou plutôt de confondre leur propre couvain avec la chenille [autrement dit la larve du papillon] jusqu’à ce qu’elle devienne adulte [on parle alors d’imago]. La survie de l’azuré des Mouillères dépend donc de la présence et de la bonne santé à la fois de la plante et de la fourmi hôtes.

La population du Pinail en 2018

L’azuré des Mouillères est présent sur une grande partie du Pinail où se développent des landes et prairies humides avec la présence d’une herbacée, la molinie bleue (Molinia caerulea), et d’un arbrisseau, la bruyère à quatre angles (Erica tetralix). Ces milieux doivent être régulièrement entretenus pour maintenir une végétation basse et ainsi permettre la floraison de la plante hôte, la gentiane pneumonanthe. Ces interventions sont réalisées à la fois par GEREPI sur la réserve naturelle et par l’ONF sur le domaniale.

La population du papillon a été estimée à environ 750 individus en 2018 à partir du nombre d’œufs comptés sur les hampes florales de la gentiane. Il était alors estimé à près de 40 000 hampes florales de gentiane cette même année sur le Pinail. Bien que ces chiffres puissent paraître importants, l’état de conservation de l’azuré des Mouillères est jugé douteux ou inadéquat compte tenu de l’isolement de la population ou encore de la dégradation de son milieu de vie faute d’un entretien adapté ou plus encore du changement climatique avec une dynamique d’assèchement. Ce travail d’étude a été mené par GEREPI dans le cadre du Plan Régional d’Actions en faveur des Maculinea coordonné par Poitou-Charentes Nature et avec le soutien de la DREAL Nouvelle-Aquitaine et l’Agence de l’Eau Loire Bretagne.

Pour aller plus loin, consultez le Rapport Azuré des Mouillères du Pinail 2018 (reserve-pinail.org) ou le Plan National d’Actions Maculinea (pnaopie.fr)

2022 amorce le déclin prévisible du papillon face au changement climatique

Sur la réserve naturelle, un suivi est réalisé tous les ans afin d’évaluer la tendance d’évolution du papillon et de la plante hôte. Il s’agit alors pour l’équipe de GEREPI de compter toutes les fleurs et hampes florales de gentiane sur lesquelles est également noté le nombre d’œufs de Maculinea. En moyenne, une femelle pond 100 œufs (de 80 à 120 pour être précis) ce qui permet d’estimer le nombre de femelles qui correspond également au nombre de mâles car le sexe ratio est équilibré chez cette espèce (autant de mâles que de femelles). Compte tenu de la grandeur du site, ce comptage est réalisé dans des zones « témoins » appelées quadrats (carré de 10 mètres par 10 mètres) : il y en a 3 sur la réserve.

Les résultats du suivi en 2022 sont très préoccupants !

  • La floraison de la gentiane et l’émergence du papillon ont été plus précoces de 2 semaines
  • Le nombre de hampes florales comme de fleurs de gentiane a chuté de 67% tandis que le nombre de bourgeons a été réduit de 51% (l’essentiel des bourgeons et fleurs ayant d’autre part littéralement « grillées » sur pied )
  • Le nombre d’œufs de Maculinea a augmenté de 151% tandis que le nombre d’œufs par fleurs ou bourgeons de gentiane a augmenté de 407%
  • De fortes disparités spatiales sont observées sur la réserve, 1 seul quadrat sur les 3 étudiés abrite la gentiane et le papillon

2022 est une année marquée par une sécheresse exceptionnelle avec plusieurs vagues de chaleurs intenses du printemps à l’été, comme l’illustre notamment le mois de juillet avec un cumul de seulement 6mm de pluie et le dépassement d’une température de 40°C [à noter que cette année 2022 préfigure les nouvelles normales climatiques de l’horizon 2050-2100 annoncées par les modélisations scientifiques au regard de la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre]. Les conditions climatiques affectent les conditions de vie de l’ensemble du vivant et tout particulièrement des espèces inféodées aux milieux humides, en témoigne le suivi de l’azuré des Mouillères dont la population pourrait être considérée en danger critique d’extinction plus vite que prévu à l’échelle du Pinail. Plusieurs constats et questionnements sont désormais soulevés :

  • La gentiane pneumonanthe a une capacité d’adaptation significative puisqu’elle a décalée sa floraison de 2 semaines d’une année à l’autre, même si cela n’a pas été suffisant pour faire face à l’intensité de la sécheresse
  • L’azuré des Mouillères a également émergé 2 semaines plus tôt, en même temps que la floraison de la gentiane : une synchronie essentielle pour sa reproduction même si le taux d’éclosion des œufs ou le taux de survie des chenilles demeurent inconnu
  • La densification du parasitisme des gentianes, c’est à dire la multiplication du nombre d’œufs pondus par bourgeons ou fleurs, peut être un facteur défavorable à la survie du papillon dans la mesure où les ressources alimentaires sont limitées tout comme la capacité des fourmilières à prendre en charge les chenilles jusqu’à, possiblement, engendrer leur mort (épuisement de la colonie)
  • Des axes de recherches seraient à développer pour connaître le nombre de chenilles pouvant se nourrir d’une même fleur de gentiane ainsi que la capacité de prise en charge de chenilles par une même fourmilière sans compromettre sa viabilité, ou encore l’impact du réchauffement climatique comme des sécheresses sur l’activité des fourmis hôtes ou la production de graines de la gentiane

Le travail mené sur le Pinail est développé en réseau en particulier avec les associations coordinatrice du Plan Régional d’Actions en faveurs des papillons de jour, et en lien avec le programme les sentinelles du climat développé en Nouvelle-Aquitaine par l’association Cistude Nature auquel participe GEREPI. Merci à Poitou-Charentes Nature pour la coordination et aux partenaires financiers que sont la DREAL Nouvelle-Aquitaine et l’Agence de l’Eau Loire Bretagne.

L’azuré des mouillères en images

Documentaire réalisé par Anaïs Hegedus & Alex Benoist en collaboration avec la Réserve naturelle nationale de Chérine, l’association Épiméthée ainsi que les cinéastes et photographes animaliers Patrick Luneau et Jean-François Hellio.

Merci à nos partenaires techniques et financiers pour leur soutien : Poitou-Charentes Nature et Conservatoire d’Espaces Naturels de Nouvelle-Aquitaine, Conseil Régional et DREAL Nouvelle-Aquitaine ainsi que l’Agence de l’Eau Loire Bretagne (Contrat Territorial Vienne Aval)