Chantier de brûlage dirigé sur le Pinail


Autrefois couramment employé sur le Pinail comme sur beaucoup d’autres espaces de landes, l’écobuage est resté pour GEREPI un moyen de gestion de la réserve naturelle. Cette pratique a été largement délaissée au profit des engins mécaniques mais sur le Pinail, pas question de brûler des énergies fossiles* ! Les milliers de mares constituent une réelle contrainte technique pour le gestionnaire, même s’il n’en retient que l’incroyable richesse écologique. L’écobuage, ou devrait-on dire le brûlage dirigé, est ainsi une exigence de la réserve. Et donc sur le Pinail, c’est de la matière renouvelable qui est brûlée ce qui résume bien là l’objectif : renouveler la végétation afin de favoriser la biodiversité d’une part, et de réduire le risque d’incendie d’autre part.

27ème chantier de brûlage dirigé

Le 13 octobre 2017, après des semaines de préparation (réalisation d’un pare-feu, visites préparatoires, déclaration, coordination…), un secteur de 7.5 hectares est parti en fumée sous la vigilance du SDIS 86 et d’une équipe de brûlage dirigé composée de GEREPI et des SDIS 40, 47 et 33. Les conditions météorologiques favorables et l’important dispositif de sécurité (45 pompiers et 7 camions-citerne) ont permis le bon déroulement du chantier dont l’allumage a été réalisé à 13h20. La mise à feu sur le pare-feu périmétral en remontant face au vent a été progressive pour se terminer autour de 16h. Le chantier s’est achevé avec les derniers végétaux consumés et seul 5% du secteur n’ont pas été brûlés. La combustion de la litière n’a pas été optimale compte-tenu d’un taux d’humidité trop élevé, la rosée ayant été importante à cette période de l’année.

Impact écologique du brûlage dirigé

Depuis 1994, l’usage du feu courant comme mesure de gestion conservatoire de la réserve naturelle fait l’objet de suivis scientifiques. Les résultats obtenus permettent de démontrer les bénéfices qu’en retirent les habitats de lande ou de mare et les espèces qui y vivent. Si l’impact sur la régénération de la végétation est aisément perceptible (la flore des landes est dite pyrophile càd adaptée ou favorisée par le passage du feu), l’impact sur la faune est plus controversé.

L’effarouchement préalable et le feu ou les fumées provoquent la fuite des espèces animales qui en ont la capacité. D’autres peuvent se réfugier dans l’eau, un terrier, un pierrier ou dans le sol ce qui leur permet de survivre aux flammes. Des relevés de températures réalisés sur la réserve lors du passage du feu ont démontré que (i) les mares ne subissent aucune variation thermique, même en surface et à proximité des berges, (ii) le sol subit une variation thermique non létale avec un maximum atteint à 1cm de profondeur (en 2016 : température maximale mesurée à -1cm atteignant 44°C , aucune variation thermique mesurée dans l’eau ; en 2017, température maximale mesurée à -1cm de 30.5°C représentant +17°C avec une moyenne de +4.7°C sur 27 thermo-boutons). Pour les individus des autres espèces animales (très peu abondants à cette période de l’année) ou les individus malportants, ceux qui ne peuvent ni fuir ni se réfugier, ils succombent dans les flammes. Il s’agit d’une mort prématurée car nombre de ces espèces meurent naturellement pendant l’hiver : l’essentiel est donc de réaliser le brûlage dirigé après la période de reproduction. Pratiqué par secteur et en rotation, ce mode de gestion permet de préserver des zones sources à partir desquelles les espèces vont pouvoir coloniser cet espace régénéré, induisant de manière prépondérante une dynamique des populations.

En l’état actuel des connaissances, les suivis naturalistes démontrent que le brûlage dirigé sur la réserve est plus favorable à la biodiversité que le pâturage extensif et la coupe manuelle ce qui a été établi notamment au niveau du cortège d’Orthoptères. De plus, sur le Pinail comme partout ailleurs,  des espèces ne doivent leur subsistance qu’au passage du feu à l’image de Dadinia caldariorum, ce champignon qui se développe exclusivement sur tige d’ajonc nain brûlée. La mise à nu du sol favorise également l’expression de la banque de diaspores, des espèces végétales pionnières comme la pilulaire à globules qui ne demeure abondante qu’après le passage du feu au niveau des zones de marnages des mares. Cependant, l’alliance de différents moyens de gestion sur la réserve assure cependant une complémentarité d’impacts dont chaque espèce tire parti de manière différentielle.

De l’incendie au brûlage dirigé

Le meilleur ennemi du feu, c’est le feu. Il est ainsi couramment employé pour maîtriser les feux de forêt, essentiellement dans le sud de la France. Utilisant ce principe du « feu contre-feu », le brûlage dirigé constitue une mesure préventive de telles catastrophes comme cela s’est produit en 1991 sur le Pinail  (la réserve a brûlé à 95%). L‘entretien des landes diminue le risque d’incendie en réduisant la combustibilité de la végétation tout en contribuant à maintenir un état de conservation favorable des habitats (enjeu prioritaire de la réserve, rappelons-le). Les chantiers de brûlage dirigé sur la réserve du Pinail font parti intégrante du Plan Départemental de Protection des Forêts Contre les Incendies (PDPFCI) de la Vienne. Au delà de l’enjeu de prévention, ils contribuent également à la formation du personnel du Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) de la Vienne où les feux de forêts sont rares à inexistants. Dans le contexte des changements globaux, ce second enjeu participe à anticiper et donc à s’adapter dès aujourd’hui à une évolution probable de l’importance et de la fréquence des incendies notamment.

Aujourd’hui, l’image véhiculée par le feu est devenue communément celle des incendies destructeurs mais il ne faut pas oublier que sa domestication a été l’une des sources de notre humanisation. Il a éclairé les nuits, éloigné les prédateurs, fourni de la chaleur, cuit les aliments, tissé du lien social… Il est devenu l’outil des 1ers agriculteurs qui ont transmis la pratique du brûlis permettant d’ouvrir et entretenir le paysage, du Néolithique jusqu’à aujourd’hui. Mais la société actuelle tend à remettre en question l’usage du feu : le brûlage des déchets verts est réglementé, la ville de Paris a interdit temporairement les feux de cheminée, des collectivités et citoyens s’opposent au brûlage dirigé ou à l’écobuage… Il n’y a pas de fumée sans feu, c’est bien connu, mais la pollution atmosphérique dont il est accusé (à juste titre mais seulement pour partie) ne proviendrait-elle pas davantage des pots d’échappement, des cheminées d’industries, de notre modèle de (sur)consommation ? Sans pour autant ne pas prendre la mesure de cette empreinte écologique du brûlage dirigé (les études sur la réserve vont se poursuivre), il semble que les énergies fossiles, si récentes pour l’Histoire de la Terre, soient au centre de cette problématique.

Pour en revenir et conclure sur l’enjeu de conservation du patrimoine naturel, il faut rappeler que le feu fait parti intégrante de la vie sur Terre, depuis des milliards d’années. La biodiversité a donc pu et su s’adapter à cette perturbation qui peut être un mode de gestion à part entière, avec ses avantages et inconvénients. Cité comme pratique historique dans nombre d’espaces naturels, le feu n’aurait-il pas contribué à transmettre les richesses écologiques de sites aujourd’hui protégés et gérés ? Sans en faire l’apologie, cet article vise simplement à faire la lumière sur l’usage et l’intérêt du brûlage dirigé sur la Réserve naturelle du Pinail.

Auteur : Kévin Lelarge, conservateur RNN Pinail (GEREPI, 2017)

* GEREPI utilise des débroussailleuse, tronçonneuse, microtrateur, voiture… et brûle donc bien évidemment des énergies fossiles

 

Pour aller plus loin

Le feu : Combattre et utiliser (Espaces Naturels n°12 – octobre 2005)

Gestion des milieux ouverts : brûlage dirigé, un outil à maîtriser (Lambert & Mangeot, 1995)

Incendies de forêts : des recherches dans le feu de l’action (INRA – science et impact)

Actes des rencontres nationales des praticiens du brûlage dirigé (Cardère, réseau brûlage dirigé)

Le brûlage dirigé dans le Mercantour : savoirs pratiques, relations sociales et processus de décision (Natures Sciences Sociétés –  2007 / 3)

Consultez également les rapports annuels de la Réserve du Pinail.

 

Une opération co-financée par la DREAL Nouvelle aquitaine et l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne (Contrat Territorial Vienne Aval).