La tourbière, véritable archive environnementale


Si les tourbières sont relativement bien connues, notamment du fait qu’elles abritent les célèbres plantes carnivores du genre Drosera, les fonctions qu’elles assurent dans l’environnement le sont beaucoup moins. Elles illustrent pourtant à merveille le rôle d’éponge que jouent les zone humides sur le territoire en absorbant et en stockant l’eau en période pluvieuse, et en la restituant en période de sécheresse après l’avoir épurée grâce à l’activité des microorganismes qui y vivent. C’est la définition même d’un service écosystémique puisque cela permet de fournir de l’eau potable à l’Homme et de réduire les risques d’inondation ou d’assec des rivières en été. Le stockage de carbone est un autre service rendu par les tourbières car par définition, la tourbe qui les constitue est une accumulation de matière organique qui ne se décompose pas ou très peu, piégeant ainsi du carbone dans le sol et réduisant les gaz à effet de serre comme le CO2 (dioxyde de carbone) ou le CH4 (méthane). Mais si cette accumulation de matière organique permet de lutter contre le changement climatique (sauf si les tourbières venaient à s’assécher, précisons-le), elle permet dans le même temps de conserver des restes d’organismes sur plusieurs centaines et milliers d’années, faisant d’elles de véritables archives environnementales.

Au Pinail, les tourbières sont très rares : parmi les quelques milliers de mares connues, seules 8 d’entre elles ont été comblées par les sphaignes, un genre de mousse caractéristique de ces milieux. La formation de ces tourbières demeure inconnue même si elle a suscité bien des questionnements chez les naturalistes : pourquoi dans ces mares et pas d’autres, et à quelle époque se sont-elles formées ? Pour tenter de répondre à ces questions, GEREPI a sollicité des spécialistes qui, après avoir réalisé un carottage de la tourbe, ont analysé la matière organique non décomposée, couche par couche, afin de reconstituer l’environnement passé du Pinail, l’évolution de son paysage et de ses usages. Le cabinet Pierre Goubet (Pierre et Christine Goubet) ainsi que le bureau d’études PaléoBotaLab (Elise Doyen) ont ainsi identifié les débris végétaux et les pollens accumulés par une tourbière, la T18 pour les intimes, sur 2 mètres d’épaisseur de tourbe à raison d’un prélèvement tous les 10 cm. En complément, un radiodatation a été réalisée pour connaître la période de création de la mare d’une part et de la tourbière d’autre part. Cette étude très riche d’enseignements, nous fait remonter en plein moyen âge…

Récit de l’histoire du Pinail par la tourbière T18

La mare a été creusée avant le XIVème siècle, il s’agissait alors d’une fosse d’extraction de pierre meulière puisque, rappelons-le, le Pinail fut l’une des plus vastes carrières de ce type en Europe. Jusqu’au XVIème siècle, cette mare était « ouverte », l’environnement était agraire, en partie pastoral, et elle servait à rouir le chanvre. En effet, les quantité importantes de chanvre retrouvées ne laissent aucun doute : l’Homme cultivait le chanvre sur le Pinail ou alentour et laissait tremper ces végétaux quelques jours dans la mare pour faire se décomposer les parties non fibreuses et ainsi récupérer les fibres couramment utilisées pour le textile. C’est donc deux siècles plus tard qu’un tremblant se met en place pour donner naissance à la tourbière. Cette origine demeure toutefois inconnue : est-ce une évolution naturelle, la conséquence de l’arrêt du rouissage du chanvre ou bien un changement de pratique sur le site… Nous ne le saurons pas.

La tourbière se forme donc à partir du XVIème siècle. A cette époque, la prêle est abondante alors que l’on ne retrouve plus cette espèce aujourd’hui sur le Pinail. La tourbe va s’épaissir d’année en année, siècle après siècle, pour former un sol sur lequel vont se développer des espèces caractéristiques tel que le rynchospore ou les bruyères, toujours observables au XXIème siècle, comme la Drosera. Le cortège de sphaignes évolue au cours du temps et une pratique particulière marque toute l’histoire de cette tourbière : le pastoralisme. En effet, le pâturage est attesté par la présence d’espèces végétales typique de zone de piétinement ainsi que par la présence de microfossiles coprophiles, en lien avec les excrément du bétail. Seulement, à 80 cm de profondeur, la structure de la tourbière change et un évènement pérenne intervient dans les usages du site. La vocation agraire du site régresse jusqu’à disparaître totalement comme c’est le cas pour le pastoralisme à 50 cm de profondeur, ainsi que pour la culture de céréales dont on ne retrouve plus de pollens. De nouvelles espèces se développent abondamment comme les bruyères et la molinie, une herbacée de milieu humide peu compétitive sous la pression du pâturage, mais également des arbres comme le pin tout particulièrement qui a été introduit par l’Homme. A différentes profondeurs proches de la surface, des espèces carbonicoles ont également été identifiées ce qui atteste le passage du feu, des incendies sur le Pinail. Au delà du changement de pratiques que l’étude met en lumière à partir de 80 cm de profondeur (la datation de cette couche n’est malheureusement pas possible car elle est trop récente, entre le XVIIIème et le XXème siècle), une évolution de l’engorgement en eau de la tourbière semble se produire simultanément. De nouvelles questions sont ainsi soulevées quant à ce bouleversement mesuré à 80 cm de profondeur et, désormais, seules des recherches historiques pourront préciser le récit de ces archives naturelles. Quant à la suite de l’histoire, nous la vivons aujourd’hui…

Mieux connaître le passé pour mieux prévoir l’avenir

L’intention de cette étude est en lien direct avec les préoccupations de GEREPI et ses partenaires quant au changement climatique, à ses impacts les écosystèmes et à l’avenir de la réserve naturelle du Pinail. La science demeure sans surprise : nous avons souhaité avoir des réponses et nous recueillons de nouvelles questions… Cependant, les apports de cette étude sont conséquents et démontrent la place centrale que l’Homme a occupé et occupe toujours dans le maintien de la biodiversité si particulière du Pinail. L’agropastoralisme semble être la clé essentielle de l’histoire du site et probablement de son avenir, aujourd’hui compromis par l’évolution du climat conduisant à l’assèchement progressif de la zone humide. Voilà tout le paradoxe : l’Homme aussi bien protecteur que destructeur… Une histoire qui s’écrit toujours à notre époque. Mais à GEREPI, nous avons choisi notre camp : nous allons poursuivre et développer des pratiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Préserver les tourbières et plus généralement les zones humides, est une « solution fondée sur la nature » c’est à dire une action qui s’appuie sur la biodiversité, la restauration ou le maintien de ses services rendus par les écosystèmes, permettant d’assurer la résilience de notre territoire, de notre société face au défi des changements globaux (pollution, changement climatique, artificialisation des sols, etc.).

Pour creuser un peu ces questions

Téléchargement de l’étude paléoécologique de la mare T18 de la Réserve naturelle du Pinail (Goubet et Doyen, 2020).
Pour tout savoir sur les tourbières, RDV sur le site du pôle-relais tourbières de la Fédération des Conservatoire d’Espaces Naturels.
Pour découvrir les solutions fondées sur la nature à déployer dans les territoires, découvrez les fiches thématiques élaborées par France Nature Environnement.

Merci au soutien de Grand Châtellerault (Plan Climat Air Enérgie), la Région Nouvelle-Aquitaine (feuille de route Néo Terra) et l’Etat (politique Réserve Naturelle Nationale) ayant permis le développement de ces recherches sur la tourbière, l’histoire passée et à venir du Pinail, et au soutien du Département de la Vienne (politique Espaces Naturels Sensibles) pour valoriser ces actions.