Climat méditerranéen sur le Pinail


Canicule, sécheresse, incendie, pluie torrentielle… En 2022, le changement climatique fait vivre nombre de préjudices à notre société dont elle est elle-même responsable ! Les derniers rapports scientifiques du GIEC [climat] tout comme ceux de l’IPBES [biodiversité] sont unanimes : il est urgent de changer de pratiques, de changer de rapport avec l’environnement. Alors que faut-il attendre pour (ré)agir ?

Un déficit de 50% de pluie depuis l’été 2021

Le mercure a dépassé les 40°C le 18 juillet 2022 et même atteint 43°C à l’entrée de la réserve au cœur de l’après-midi (Kévin Lelarge)

L’observatoire de la réserve naturelle livre petit à petit des résultats sur l’évolution du climat et de la biodiversité de notre territoire. La station météo est sans équivoque : depuis l’été 2021, il est tombé 2 fois moins de pluie que la « normale » malgré les fortes précipitations des mois de juin 2021 et 2022. En sortie d’hiver, le déficit en eau des mares du Pinail représentait une hauteur d’environ 50 cm (pour une profondeur moyenne de 1.5 à 2 m), tandis que certaines mares sont littéralement restées en assec depuis l’été dernier. L’état de sécheresse des sols et végétaux est très préoccupant, particulièrement pour la zone humide du Pinail qui est alimentée exclusivement par l’eau de pluie et dont la végétation est extrêmement inflammable. Les vagues de chaleur de juin et juillet 2022 ont atteint les 40°C entrainant notamment un risque de feu de forêt accru, évalué de sévère jusqu’à très sévère par le SDIS de la Vienne. Il est important de noter que le Pinail présente des caractéristiques similaires à la région des Landes avec ses cultures de pins et végétations de landes, où actuellement 2 incendies majeurs ravagent plus de 13 000 hectares et mobilisent en particulier les SDIS partenaires des brûlages dirigés réalisés sur la réserve, y compris celui de la Vienne.

Une tonne à eau pour abreuver le troupeau depuis le printemps

Depuis le printemps, le troupeau de la réserve s’est agrandi avec la naissance de 8 agneaux et l’acquisition de 3 chèvres poitevines. Pour faire pâturer ces 35 animaux, l’enclos de pâturage a été agrandi de 3.5 hectares grâce à un contrat Natura 2000 (co-financement Europe et Etat). Cependant les vagues de chaleur posent quelques questions sur le développement de ce mode de gestion le plus en adéquation avec les enjeux écologique du site, aussi bien pour la biodiversité que pour le climat. Face à la sécheresse, GEREPI a dû installer une tonne à eau pour abreuver les animaux au cœur de la zone humide, ce qui était impensable il y a quelques 10aines années ! Et face aux fortes températures, le troupeau s’adaptent en restant à l’ombre de la bergerie et en profitant de la fraicheur de la nuit pour aller pâturer. Dans ces conditions, comment imaginer faire paître le troupeau en itinérance sur le Pinail afin de remplacer l’énergie fossile (débroussailleuse, tracteur, etc.) par l’énergie biologique (animaux domestiques, sécateurs manuels, etc.) ? Nos réflexions sur la « décarbonation » de la gestion de la réserve ainsi que son adaptation à un climat méditerranéen futur font face à plusieurs dilemmes… mais nous y travaillons !

Une disparition d’écrevisse à pattes blanches inquiétante

L’évolution du climat ou les records comme les phénomènes extrêmes qui se succèdent actuellement, bouleversent d’ors et déjà les espèces du Pinail, comme ailleurs (littoral, montagne, vallée, etc.). Face au changement climatique, on distingue habituellement 3 types d’adaptation chez la biodiversité :

  • la morphologie, notamment en réduisant sa taille pour limiter l'(évapo)transpiration
  • la phénologie notamment en avançant sa période d’émergence ou de floraison
  • la chorologie en migrant vers des territoires dont le climat reste ou devient favorable

Triton crêté (Triturus cristatus) de la vidéo « Le climat » de la réserve naturelle du Pinail

Ecrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes) – Yann Sellier

Dans nos précédents articles, il a été fait mention du triton crêté (Triturus crestatus) qui a déjà migré au sein même de la réserve pour se concentrer dans des mares plus profondes, plus basiques, plus fraiches et donc moins vulnérables au changement climatique.

Une autre espèce cible de l’observatoire est l’écrevisse à pattes blanches (Austrappomobius pallipes) dont une publication scientifique de 2016 avait prédit la disparition de 2 populations d’ici 2060 du fait de l’acidification de l’eau avec l’augmentation du CO2 de l’atmosphère. Les résultats du suivi de 2021 montrent que sur les 9 populations présentes au Pinail, 2 auraient déjà disparu quand 2 autres seraient réduites à un unique ou seulement quelques individus. Au delà du phénomène d’acidification à l’œuvre, il s’agirait du réchauffement de l’eau qui se produit beaucoup plus rapidement, limitant notamment la disponibilité en oxygène et condamnant à terme cette espèce. Des sondes thermiques ont immédiatement été posées pour vérifier cette hypothèse. Affaire à suivre donc mais les observations naturalistes qui se cumulent année après année augurent de profonds bouleversements : assèchement printanier des sites de pontes d’amphibiens, diminution de l’effectif et diversité de libellules, disparition d’habitats tourbeux à humides, activité d’individu anormale : émergence de libellule en novembre, sortie d’hibernation de grenouille en décembre, etc. Régulièrement questionnés à ce sujet « Mais qu’est ce qu’il va se passer pour la biodiversité ? »

Les bouleversement qui s’opèrent dans les écosystèmes à l’image de l’écrevisse ou du triton, sont le reflet d’une altération des services rendus par la nature ou devrait on dire d’une mise en péril des dépendances de notre société à la nature : approvisionnement en eau potable, fourniture de matériaux, production d’aliments, pollinisation, régulation du climat, épuration de l’air, espace de loisir et ressourcement, etc.

Un aménagement et des pratiques à remettre en question ?

Le territoire du Pinail a subi d’importantes transformations au cours de son histoire, depuis le défrichement de la forêt au néolithique jusqu’au réaménagement forestier du 20ème siècle en passant par le creusement de fosses d’extraction de pierres meulières au moyen-âge. Aujourd’hui, la protection comme l’exploitation de ce site naturel est confrontée à un phénomène inédit pour l’Homme, le changement climatique, qui met à l’épreuve nos savoir et savoir-faire.

Face au changement climatique, chaque acteur, chaque individu, a sa part de responsabilité. Selon les dernières projections du GIEC, nous avons jusqu’à 2025 pour inverser la tendance à l’échelle mondiale, pour changer nos pratiques afin de maintenir un climat soutenable, un monde enviable (inférieur à +2°C dans le monde soit +3°C en France en 2100).

Actuellement GEREPI est engagé dans la réalisation d’un bilan carbone [tout le monde peut faire son bilan carbone sur Connaissez-vous votre empreinte climat ? – Nos Gestes Climat] afin de connaître et réduire ses émissions de gaz à effet de serre jusqu’à décarboner autant que possible ses activités. Le défi est de parvenir à condamner notre dépendance aux énergie fossiles (pétrole, gaz, etc.) tout en poursuivant la protection de la biodiversité de la réserve, notre cœur de métier. Mais l’évolution du climat nous confronte à nombre d’incertitudes : quelle biodiversité protéger demain ? Les espèces parviendront-elles à s’adapter ? Quel climat fera t-il réellement ? Quelle gestion anticiper dès aujourd’hui ?

Beaucoup de questions se posent c’est pourquoi l’équipe est en (é)veille et suit différents programmes dont les LIFE Natur’AdaptEau et Climat ou ARTISAN,  pour s’investir localement. La place de la libre évolution dans les aires protégées est de plus en plus questionnée, possiblement après une phase de restauration pour ensuite laisser s’exprimer spontanément la nature, sans intervention de l’Homme. De la même manière, l’approche patrimoniale de la nature tend à être remise en question en plébiscitant une approche plus fonctionnelle afin d’intégrer cette forte incertitude quant à l’avenir de la biodiversité rare et protégée, la plus vulnérable puisque la plus exigeante. Au Pinail, un tel projet d’adaptation est en cours de développement avec une étude concernant l’eau, son stockage et son écoulement, dans le but de restaurer ou réaménager le site afin de préserver la fonctionnalité de la zone humide, de favoriser sa résilience face au changement climatique (co-financement Agence de l’Eau Loire Bretagne et région Nouvelle-Aquitaine). Dans le même temps, les orientations stratégiques du plan de gestion de la réserve en terme de paysages, de biodiversité, de modes de gestion, sont discutées dans la perspective de mobiliser tous les acteurs locaux dans cette démarche à l’échelle du site Ramsar. L’intégration des enjeux du climat est un processus qui demande du temps, qui questionne : le paradoxe étant que le temps est compté…

 

Remerciements particulier à nos partenaires financiers qui permettent de développer l’observatoire de la réserve et accordent leur confiance pour ouvrir des perspectives en matière d’atténuation et adaptation au changement climatique : l’Etat, l’Agence de l’Eau Loire Bretagne, la région Nouvelle-Aquitaine ainsi que le département de la Vienne et Grand Châtellerault.