Une bassine pour sauver le Pinail ?


Par la force des choses, on parle d’un avant et d’un après 2022 quant à la crise climatique, un peu comme en 2020 avec la crise sanitaire qui a amorcé la prise de conscience de la vulnérabilité de notre société et de notre dépendance à la nature (santé humaine, approvisionnement en eau, sécurité alimentaire, production de matières premières, etc.). L’écologie est ainsi devenu un véritable enjeu de société, un sujet qui interpelle, fait débat et plus rarement consensus. Car bien que la responsabilité des activités humaines ne soit plus à démontrer, les moyens de surpasser la crise écologique questionnent notre modèle de société, notre rapport à la nature. Les scénarios « Transitions 2050″ de l’ADEME donnent à voir les possibles sociétés de demain que les décisions d’aujourd’hui préfigurent au travers les stratégies et mesures mises en œuvre pour atténuer et s’adapter au changement climatique. Il est urgent d’opérer le changement systémique plébiscité par les rapports scientifiques qui s’accumulent dangereusement, de faire les bons choix et de parier sur des solutions qui apporteront des bénéfices dans tous les cas de figures, pour l’Homme ET la nature. « Aujourd’hui, la terre de demain », tel est la devise des Réserves Naturelles de France…

Retour sur une année sans précédent au Pinail

Le nouvel an 2022 a été fêté avec le chant des grenouilles vertes sorties de leur sommeil hivernal par une température anormale de plus de 19°C. En sortie d’hiver, il manquait au moins 50 cm d’eau dans les mares. Les prairies humides se sont asséchées à l’arrivée du printemps condamnant ainsi toutes les pontes de grenouilles agile et autres amphibiens en particulier. Le manque d’eau s’est accentué au milieu du printemps lorsqu’il a fallu commencer à abreuver le troupeau jusqu’à devoir installer début juin, une tonne à eau au cœur de la zone humide : du jamais sur la réserve naturelle depuis les années 1990 ! En été, avec les vagues de chaleur successives et un mercure atteignant jusqu’à 40°C, le sentier de découverte a été déserté du public avec une baisse de fréquentation de 50% par rapport aux étés précédents. Canicules et sécheresse ont provoqué une intensification du risque de feu de forêt conduisant les pompiers à assurer une surveillance quotidienne du site jusqu’à ce que la préfecture interdise même l’accès et les travaux en milieux forestier et naturel fin août. Au niveau de la biodiversité, la reproduction du rarissime papillon azuré des mouillères a été compromise par une précocité d’environ 3 semaines de la floraison de sa plante hôte, la gentiane pneumonanthe, et sa dessication sur pied alors que les œufs ou chenilles avaient à peine vu le jour. Pour l’écrevisse à pattes blanches, tout autant rare et protégée, la situation est plus critique puisque la perte de 50% des populations a été observée et confirmée. Si les visiteurs manquaient à l’appel au cœur de l’été, les libellules et autres habitants des mares, pour l’essentiel asséchées, avaient également et littéralement disparu à partir de début août. Les quelques averses de la fin d’été ont offert un second printemps à la végétation qui a reverdit le paysage en l’espace de quelques jours, en plein automne. Sans pour autant faire remonter les niveaux d’eau, la pluie automnale a permis aux champignons de s’exprimer sans être contraint par l’arrivée du gel. Début novembre, un certain nombre de plantes ont poursuivi leur floraison comme les bruyères à quatre angles ou la gentiane pneumonanthe, avec des températures anormalement haute en cette période, proche de 20°C. Quant aux mares, début décembre, elles restent pour l’essentiel à l’état de flaque d’eau…

Sécheresse extrême, succession de vagues de chaleur, modification du rythme de vie des espèces, intensification du risque de feu de forêt… Tel est le tableau qui illustre le phénomène de méditerrannéisation à l’œuvre sur le Pinail. De quoi interpeller quant à l’avenir du site et plus largement quant à la résilience de notre territoire face au changement climatique ! Mais alors, dans ces conditions, pourquoi ne pas s’arroger le droit de construire une réserve de compensation pour maintenir la zone humide en eau à l’image des réserves de substitution pour irriguer les cultures agricoles malgré les restrictions d’eau ? Si l’idée peut paraitre superflue, la réflexion est plus profonde : faut-il préserver à tout prix notre système, notre référence du monde d’aujourd’hui quitte à aggraver le problème, ou bien faut-il accepter de changer de référence, d’adapter notre système au climat et à la nature de demain ?

2022, une année exceptionnelle ou la nouvelle norme ?

Voilà une question que tout le monde se pose, une question nourrie de l’espoir d’un retour à la « normale »… Une prise de conscience des calamités climatiques ou bien un déni de la réalité ?

Selon les projections scientifiques, plusieurs scénarios sont envisageables et donc plusieurs réponses sont possibles et toutes reposent sur nos émissions actuelles et futures de gaz à effet de serre. Si les politiques répondent à leur ambition, celle de contenir le réchauffement planétaire à +1.5 voir +2°C, alors 2022 se trouverait être une année relativement « normale ». Mais si la trajectoire poursuivie aujourd’hui n’est pas radicalement changée, avec +4 à +5°C d’ici 2100 dans le monde par rapport à 1850-1900 comme l’illustre le graphique ci-dessous, alors 2022 serait une année « fraîche » et les conséquences observées cette année ne seraient que les prémisses de bouleversements majeurs que notre société subirait et devra irrémédiablement affronter.

Si le réchauffement planétaire atteint aujourd’hui +1.1°C en moyenne dans le monde, en France il est déjà de +1.7°C depuis l’ère préindustrielle. C’est ainsi que l’on parle désormais des changements climatiques car l’évolution du climat et ses conséquences en cascade est et sera différente d’un territoire à un autre, à l’image de la France où le réchauffement est aujourd’hui de +50% par rapport à la moyenne mondiale (+2°C dans le monde signifierait +3°C en France par exemple). A noter que le scénario le plus optimiste, le RCP ou SSP 2.6 limitant le réchauffement en dessous +2°C, devient de plus en plus irréaliste à mesure que le temps passe sans que « rien ne se passe » [référence à la condamnation de l’état français pour « inaction climatique » ou au « bla bla bla » de Gretta Thunberg concrétisé lors de la dernière COP de novembre 2022 où l’abandon de l’objectif de l’Accord de Paris à +1.5°C a été remis en question]. Il est important de rappeler que cette situation dépend de notre seule volonté à agir pour le climat qui gouverne l’ensemble des conditions de vie sur Terre, sans exception. Et qu’en matière d’atténuation du changement climatique, il ne s’agit pas seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre tel que le CO2 issus de nos activités humaines, de la combustion d’énergies fossiles, il s’agit également de protéger la nature, de stopper sa destruction et de restaurer les écosystèmes qui régulent naturellement et gratuitement le cycle du carbone (forêts, zones humides, prairies, etc.). Voilà un des nombreux « services écosystémiques » qui permettra d’atteindre « zéro émission nette » d’ici 2050 [entendez par là, ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que la planète ne peut en absorber naturellement], de stabiliser le climat et de s’adapter à ses impacts comme la modification du régime des pluies et la raréfaction de la ressource en eau.

Entre adaptation et maladaptation, la gestion de l’eau en question

Bien que les projections scientifiques annoncent une pluviométrie relativement stable sur notre territoire (Climat HD de MétéoFrance), l’eau se raréfie avec le changement climatique. Elle devient et deviendra de moins en moins disponible, pour l’Homme et l’ensemble du vivant, avec des rechargements de nappes phréatiques en hiver (BRGM, 2012) et des débits de cours d’eau en été (CNRS, 2014) de plus en plus faibles : une tendance confirmée sur le bassin de la Vienne (EPTB Vienne, 2022). Dans le même temps, des évènements extrêmes de pluie et de sécheresse sont également prédits, de manière plus fréquente et intense à l’avenir [NB : les sécheresses agricoles risquent de devenir quasi continues et de grande intensité en France au cours de la seconde moitié du XXIe siècle, une situation totalement inconnue aujourd’hui selon les modélisations] . S’adapter à la raréfaction globale comme à la surabondance ponctuelle de l’eau est donc un sujet aussi primordial que complexe !

En matière d’adaptation au changement climatique, le dernier rapport du GIEC révèle qu’au-delà d’un certain niveau de réchauffement, +2°C et davantage, l’efficacité de la plupart des mesures actuelles devrait diminuer et les impacts résiduels augmenter. [1] Une mise en garde quant à la maladaptation, un terme faisant référence aux « fausses bonnes solutions » dont les effets seront insuffisants et/ou aggravants le problème qu’elles tentent de résoudre, le plus souvent dans une vision sectorisée et/ou de court terme. [2] Et tout autant une démonstration quant à l’importance et l’urgence de changer drastiquement de trajectoire, de modes de production et de consommation, afin de limiter le réchauffement planétaire bien en dessous de +2°C. Car toujours selon le GIEC, la marge de manœuvre pour les solutions d’adaptation se réduit à mesure que les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent, que les activités humaines daignent opérer leur transformation.

Et plus particulièrement, en matière de gestion de l’eau, au sujet de l’actualité très controversée des projets de « bassines », il est précisé dans le dernier rapport du GIEC intitulé « vulnérabilités et adaptations » que, au-delà de leur coût économique et environnemental, ces réservoirs ne seront pas suffisants à des niveaux de réchauffement plus élevés que +2°C. Pourtant, ces réserves de substitution puisant l’eau dans les nappes phréatiques en hiver pour irriguer les cultures agricoles l’été, sont plébiscités en Poitou-Charentes et ailleurs en France (plus d’infos ici ou  et dernièrement ici) où la trajectoire actuelle est largement supérieure à +2°C. L’analyse du GIEC démontre que les décisions d’investissement actuelles pour les exploitations agricoles demeurent gouvernées par la politique agricole, les prix du marché, les nouvelles technologies et les facteurs socio-économiques plutôt que l’adaptation aux effets du changement climatique. Cette réalité peut être illustrée dans la Vienne au travers l’exemple d’une démarche de consultation pilotée en 2019 par la préfecture et la chambre d’agriculture quant aux possibles modèles agricoles futurs, avec ou sans « bassine », sans considérer les impacts du changement climatique sur la disponibilité future de la ressource en eau, l’intensité des sécheresses… Ou encore en 2022, toujours dans la Vienne, avec la signature du projet de territoire autour des réserves de substitution du bassin du Clain sans attendre les résultats de l’étude hydrologique… En augmentant les volumes d’eau prélevés en milieu naturel, en consolidant la dépendance d’une agriculture à l’irrigation intensive, en accentuant l’inégalité d’accès à la ressource, les bassines s’avèrent d’ors et déjà être une maladaptation, une mesure sans co-bénéfice sociétal. Pourtant, d’autres modèles sont possibles et déjà mis en œuvre par des agriculteurs engagés dans une véritable adaptation en visant une réduction des prélèvements et un meilleur partage de l’eau, une évolution des pratiques agricoles et de l’aménagement du territoire (nouvelles cultures, agroforesterie, humification et diversification de la vie du sol, plantation de haies, restauration de zones humides, etc.).

Les mesures de rétention naturelle de l’eau

La construction d’une « bassine » sur le Pinail pour compenser le manque d’eau et alimenter les mares en été n’est donc pas à l’ordre du jour. Et même si l’eau est indispensable pour la nature comme pour l’agriculture, l’urgence n’est-elle pas d’anticiper les impacts du changement climatique sur les ressources naturelles et d’accompagner les écosystèmes pour faire face à ces bouleversements et ainsi favoriser la résilience de notre environnement ?

Le scénario des mégabassines est un pari des plus risqués puisqu’il est exclusif à une trajectoire climatique inférieure à +2°C d’augmentation de température en moyenne dans le monde (un scénario de plus en plus remis en question) et qu’il ne permet pas de répondre à la crise écologique de manière intégrée et pérenne : ni progrès environnemental, ni progrès social. Ce choix de société, c’est celui basé sur les nouvelles technologies qui permettraient de résoudre la crise climatique sans opérer de changement, sans changer de modèle de développement alors même qu’à court/moyen terme, aucune solution ne soit opérationnelle…

Le scénario des mesures naturelles de rétention de l’eau est un pari dit « sans regret » puisqu’il répond à toutes les trajectoires climatiques d’une part et qu’il confère des co-bénéfices sociétaux d’autre part grâce à la restauration et préservation de la biodiversité : haies, zones humides, forêts, etc. Ces écosystèmes régulent le cycle de l’eau (infiltration, stockage, épuration, etc.) mais aussi le cycle du carbone comme le microclimat (atténuation du changement climatique ET adaptation à ses effets). Les travaux du GIEC montrent que les services rendus par les écosystèmes peuvent être garant de la production alimentaire et l’approvisionnement en eau, la santé et le bien-être humain, tout en contribuant à la réduction des risques climatiques. Ce choix de société, c’est celui du changement de paradigme, d’un développement durable notamment au travers de solutions fondées sur la nature. C’est ce pari opérationnel dès à présent que GEREPI fait pour le Pinail, pour le territoire.

Pour aller plus loin…