Alors que le 1er confinement a provoqué une modification du comportement de nombreuses espèces au printemps avec la mise en suspens des activités humaines, le 2ème confinement ne laisse guère présager d’un tel espace de liberté d’expression pour la biodiversité. En tout cas, pas en relation avec la crise sanitaire…
Jeudi 12 novembre, une jeune libellule a été observée en pleine activité sur la Réserve naturelle du Pinail. Avec une coloration vive, des ailes luisantes et un corps en parfait état, il s’agissait d’un individu d’anax empereur ou d’aeschne bleu venant tout juste d’émerger… en plein cœur de l’automne, du jamais vu ! Les anomalies de température que nous subissons aujourd’hui, des températures extrêmement douces pour cette saison, témoignent de l’évolution du climat et, même si l’Homme n’en ressent pas de réelle différence, de bouleversements incontestables de la nature. Preuve en est cette pauvre libellule qui, se croyant encore en été ou déjà au printemps, émerge en automne. Elle aura malheureusement beaucoup de mal à assurer sa survie faute de proies abondantes pour se nourrir et de partenaire pour se reproduire, telle une « naufragée climatique ».
GEREPI est très attentif aux impacts du changement climatique sur la biodiversité car il en va tout particulièrement du maintien des services rendus par la nature à notre société (qualité de l’air, alimentation en eau potable, fertilité du sol, régulation du climat, etc.), rien que ça. Pour les espèces qui en ont la capacité, il s’agit de s’adapter soit en se déplaçant vers des aires climatiques plus favorables, la migration, soit en modifiant son rythme de vie aux nouvelles conditions, la phénologie, soit en faisant évoluer son corps, la physiologie. Mais face à un changement climatique aussi rapide, difficile de parler d’adaptation ou d’évolution et de nombreuses espèces disparaitront de certains territoires ou de la planète. C’est pour évaluer ces phénomènes que différents suivis scientifiques sont mis en œuvre sur la réserve naturelle et force est de constater que le changement n’est pas pour demain, c’est bien une actualité ! Preuve en est cette prairie humide pâturée par des moutons sur la Réserve naturelle du Pinail qui, année après année, s’assèche et meurt à petit feu.
L’ampleur de la crise sanitaire et économique que nous vivons actuellement tend à prendre le pas sur une crise d’une tout autre ampleur portée par le changement climatique. Et pourtant tout est lié car il n’est question ici que d’un unique problème : le rapport entre l’Homme et la Nature. Plus le temps passe, plus la situation s’aggrave et moins la « transition » à opérer sera supportable, à tous points de vue. Preuve en est l’imposition de confinements sanitaires liée à une zoonose qui a conduit la moitié de la planète à être cloîtrée chez soi au printemps dernier. Qui aurait cru vivre cela un jour ? Personne. Et personne n’imagine vivre sur cette même planète avec une température moyenne de +6°C, des sécheresses et canicules à répétition, des restrictions d’usage de l’eau encore plus sévères, des migrants climatiques par millions, etc. Personne. Et pourtant c’est bien la trajectoire que nous empruntons aujourd’hui en poursuivant de bruler des énergies fossiles, en exploitant davantage de ressources naturelles que la planète ne peut régénérer chaque année : l’humanité consomme 1,6 Terre chaque année (WWF, 2020). Nos modes de production et de consommation actuels sont responsables, cela fait d’ailleurs l’objet d’un consensus inédit : 99,9% des scientifiques du monde attestent la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique (Powell, 2017). Alors que faut-il attendre de plus pour demander le changement et changer ? L’humanité est capable d’autant de sagesse que d’irresponsabilité… Nous savons aussi bien détruire que (re)construire… Les problèmes comme les solutions sont connus et fort heureusement d’innombrables projets émergent sur les territoires, notamment les solutions fondées sur la nature. Atténuer et s’adapter au changement climatique n’est pas une option, c’est inévitable et comme dirait le colibri « chacun doit faire sa part », celle-ci reposant à 25% sur l’échelle individuelle et 75% sur l’échelle collective (Carbone 4, 2019).
GEREPI s’engage dans cette voie, « faire sa part », et début 2021, un rapport spécial sera publié avec une vision de la réserve naturelle d’ici 2050 ou 2100 d’une part, et des orientations d’atténuation et d’adaptation d’autre part (merci au soutien de Grand Châtellerault, la région Nouvelle-Aquitaine et l’Etat au travers la DREAL). Pour ne rien vous cacher, ça fait froid dans le dos ! Nous sommes partagés entre la crainte d’un emballement climatique et l’espoir d’un emballement de l’humanité en faveur de l’écologie, les deux étant d’une puissance encore insoupçonnée, tout comme la résilience de la nature qui ne cessera de nous étonner et émerveiller chaque jour.