Climat : le bilan 2023


L’observatoire de la réserve naturelle repose sur un suivi météorologique associé à un suivi des écosystèmes, de la faune, la flore et la fonge afin de mesurer les impacts du changement climatique sur notre territoire. Cette action s’inscrit dans le temps long avec l’ambition de jouer un rôle de sentinelle, à partir d’observations locales et vécues, afin d’éclairer les habitants, élus et acteurs locaux sur l’état de notre environnement. Une clé pour (ré)agir !

Bilan météorologique

En 2023, la température moyenne a été de 13°C au Pinail, soit +0.95°C par rapport à la période de référence 2010-2016 (moyenne de 12.06°C). Les anomalies de température concernent principalement le mois de juin et la période de mi-août à mi-octobre, avec plusieurs vagues de chaleur en fin d’été et un mercure ne descendant pas en dessous de 20°C en après-midi jusqu’au 14 octobre. Avec un début d’été « normal » sur notre territoire, il est probablement moins évident de se rendre compte que 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde et la deuxième en France (plus d’info 2023, la deuxième année la plus chaude (youtube.com)).

Au niveau de la pluviométrie, il est tombé 747.2mm d’eau du 1er janvier au 31 décembre, soit +1.5% par rapport à la période de référence 2010-2016 (moyenne de 736.6mm). Ce cumul annuel normal masque un déficit hydrique marqué pour la période de rechargement hivernal 2022-2023, succédant à une intense sécheresse estivale et engendrant de fait une nouvelle sécheresse historique en 2023, de juillet à septembre. En début d’automne, le niveau des mares du Pinail a connu son niveau le plus bas de mémoire d’Homme. A noter que le risque de feu de forêt n’a pas été très sévère cet été comparativement à 2022 (pas d’interdiction d’accéder aux massifs forestiers notamment), mais il demeure sous haute surveillance.

Par contre, la nouvelle période de rechargement débutée mi-octobre a connu des pluies importantes, cumulant 314.8mm soit 42% des précipitations annuelles. Malgré cela, le niveau des mares n’est toujours pas à son optimum en janvier 2024 et les prairies humides ne sont pas inondées. Seulement, si cette tendance se poursuit, l’hiver 2023-2024 pourrait être salvateur pour les milieux aquatiques et humides, tout au moins « normal », bien que cette modification du régime des pluies et les sécheresses associées impactent d’ores et déjà et ce de manière croissante la biodiversité.

Niveaux d’eau : un été alarmant et un hiver réconfortant

Il a été observé globalement un assec record en 2023 sur la réserve même si les mares subissent des variations différentes selon le contexte. Certaines d’entre elles, en contact avec la nappe, ne subissent que quelques 10aines de centimètres de baisse alors que d’autres sont littéralement asséchées, perdant jusqu’à  1.5 voire 2 mètres de hauteur d’eau. Seulement, même pour les mares les plus profondes et grandes, la modification du régime des pluies cumulée à l’augmentation des températures, de l’évaporation et de l’évapotranspiration, ne permettent pas ou plus de retrouver des niveaux d’eau « normaux » comme l’illustre la mare n°E122, une mare typique du Pinail (graphique ci-dessous).

Un autre marqueur de cette évolution concerne l’une des mares bordant le sentier de découverte qui a connu son 1er assec depuis la création de la réserve tandis que les prairies humides, censées être en eau et même sous l’eau jusqu’au milieu du printemps, ne le sont plus ou insuffisamment depuis plusieurs années. Et c’est là tout l’intérêt de l’observatoire participatif mis en place depuis décembre 2023 : impliquer les visiteurs dans le suivi des niveaux d’eau à partir de photos. A noter qu’en janvier 2024, l’état de rechargement des mares a atteint un niveau non observé depuis 3 ans : une situation favorable (exemple de la mare F2 en photo) sans pour autant être satisfaisante dans l’ensemble en l’état actuel.

Grenouille agile : une perte de sites de ponte 

Espèce relativement bien répandue mais protégée comme tous les amphibiens, la grenouille agile se voit privée d’un certain nombre de sites de ponte sur la réserve du fait de leur assèchement ou rechargement hivernal insuffisant. La prairie humide de fonbredé est un illustre exemple avec une perte de 98% du nombre de pontes depuis 2009, passant de 159 à seulement 3 en 2023.

Heureusement, les mares offrent encore des conditions favorables à cette espèce sur le site mais la situation est bien différente pour le crapaud calamite qui bordait autrefois la réserve, l’espèce n’est plus observée depuis près de 10 ans.

Champignons : un automne salutaire   

Les températures très douces et les pluies importantes de l’automne ont permis une saison très favorable à la fonge, après une succession de plusieurs années dommageables. Les champignons, tout du moins ce que l’on en voit, c’est à dire le carpophore qui émerge de terre à partir du mycélium afin d’assurer leur reproduction (NB : c’est la partie qui peut se manger chez les espèces comestibles qui représentent moins de 1% de la diversité des champignons de France métropolitaine, rappelons-le, donc gare aux confusions !), les champignons ont donc pu être suivis en 2023. Les espèces habituelles ont été observées et plusieurs observations remarquables sont notées : Hygrocybe riparia, espèce très rare connue de seulement 2 sites en Poitou-Charentes, a été revue après 13 ans d’absence sur la réserve ; Entoloma cyanulum a été découvert pour la 1ère fois, cette espèce était inconnue du Poitou-Charentes.

Il faut préciser que la bonne santé des champignons est essentielle puisqu’ils assurent la dégradation de la matière organique, en particulier le bois (la lignine qui le constitue), et rentrent dans d’innombrables interactions avec d’autres espèces, animales et végétales, dont leur survie peut en dépendre : alimentation, communication, etc.

Azuré des mouillères : une chute drastique

Papillon aux mœurs étonnants de par sa chenille élevée par des fourmis, l’azuré des mouillères fait l’objet de toutes les attentions sur le Pinail. Il s’agit de la dernière station du Poitou-Charentes de cette espèce protégée qui subit, irrémédiablement, les impacts du changement climatique avec l’assèchement des zones humides et la récurrence de températures caniculaires. Sur la réserve naturelle, une régression importante est observée depuis l’été catastrophique 2022 (graphique ci-dessous et article Quel destin pour l’azuré des Mouillères au Pinail ?). En 2023, avec des investigations menées à l’échelle de l’ensemble du Pinail, il est estimé une diminution de 25% de l’aire de répartition du papillon et de sa plante hôte (cartes ci-dessous) entre 2017 et 2023. En termes de hampes florales, cela correspond à une perte de -60% passant de 39 675 à 12 042 tiges fleuries de gentiane pneumonanthe où cet azuré pond ses œufs.

Mauvaise augure donc pour l’azuré des mouillères et la situation n’est guère plus favorable ailleurs en France. Des chiffres plus précis seront bientôt disponibles tandis que des actions de conservation devront être envisagées afin de limiter autant que possible les impacts du changement climatique sur le Pinail. C’est tout l’objet de la stratégie d’atténuation et d’adaptation au changement climatique que développe GEREPI en concertation avec ses partenaires. Gestion bas carbone, rétention naturelle de l’eau, sensibilisation des acteurs… Voilà des axes prioritaires pour 2024 et les années à venir, sans oublier la poursuite des suivis scientifiques !

Ecrevisse à pattes blanches : un déclin stabilisé

Unique population au monde vivant dans des mares, l’écrevisse à pattes blanches est une espèce phare de la réserve. Après un effondrement de 50% des mares de présence confirmé en 2022, les 5 populations restantes se sont maintenues en 2023 tandis que les 5 autres sont désormais considérées comme éteintes. Un échec des actions de conservation mises en place depuis 2016 puisque les 2 mares de transfert n’ont pu maintenir des conditions de vie adaptées face au changement climatique avec le réchauffement de l’eau et, dans une moindre mesure, son acidification. Une température de 25°C a notamment été mesurée en été dans le fond d’une mare où l’espèce était précédemment présente, ce qui peut créer des conditions létales pour certains individus voire certaines espèces.

Des indicateurs complémentaires des impacts du changement climatique sont mesurés sur la réserve naturelle, certains sont négatifs comme la réduction des effectifs globaux de libellules avec l’assèchement des mares tandis que d’autres sont positifs comme l’augmentation de la population de fauvette pitchou avec les hivers de moins en moins rigoureux. Au regard de la tendance globale établie par l’observatoire, la vulnérabilité de la zone humide du Pinail est exacerbée par le dérèglement du climat ce qui oblige GEREPI à s’adapter, à requestionner la gestion du site qui subit une nouvelle transformation. Une situation qui désœuvre autant qu’elle stimule : c’est à nous de relever le défi !

Merci à la DREAL Nouvelle-Aquitaine et à l’Agence de l’Eau Loire Bretagne pour leur soutien dans le développement de cet observatoire en 2023, ainsi qu’à l’intervention des porteurs du Contrat Territorial Vienne Aval et du Plan Régional d’Actions en faveur des papillons de jour, ou encore à nos partenaires scientifiques (université de Poitiers, CNRS de Chizé, Vienne Nature, etc.). Ce dispositif s’inscrit également dans le Plan Climat Air Energie Territorial de Grand Châtellerault et la feuille de route Néo Terra de la région Nouvelle-Aquitaine.